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Date de création : 28.11.2009
Dernière mise à jour : 21.12.2009
10 articles


[ 6 ] Le Guépard - Giuseppe TOMASI DI LAMPEDUSA

Publié le 04/12/2009 à 19:03 par jean-paul-il-lisait-quoi Tags : le guépard lampedusa
[ 6 ] Le Guépard - Giuseppe TOMASI DI LAMPEDUSA

Dans les années 1860, Fabrizio Salina, prince sicilien, est confronté à la tourmente révolutionnaire du Risorgimento. Présenté comme véritable Guépard, cet homme, dernier reflet des moeurs siciliennes du XIXème siècle, est le spectateur d'une dégradation des moeurs, d'une dégradation de sa famille, d'une dégradation de son corps, d'une confrontation douloureuse à une mort qui se rapproche.

Cette histoire est un hommage à la Sicile, où chaque personnage caractérise ce pays sec, arride, difficile mais néanmoins splendide. La vision d'une époque révolue enchantée par une intertextualité permanente, où chaque détail est une vague de sens, où le désir, l'amour, la crainte, la solitude sont omniprésentes et où chaque choix détermine l'avenir des personnages mais aussi de la Sicile.

¤

"Après avoir épuisé la conversation sur les changements militaires, on passa à des sujets plus agréables. Concette et Cavriaghi étaient assis ensemble un peu à l'écart et le jeune comte lui montrait le cadeau qu'il lui avait rapporté de Naples: Les Chants d'Aleardo Aleardi qu'il avait fait magnifiquement relier. Sur le cuir bleu sombre une couronne princière était profondément gravée et, au-dessous, son chiffre: "C.C.S" Encore plus bas, de grands caractères vaguement gothiques disaient: "Toujours sourde". Concette, amusée, riait. "Mais pourquoi sourde, comte? C.C.S entend très bien." Le visage du jeune comte s'empourpra d'une passion juvénile. "Sourde, oui, sourde, mademoiselle, sourde à mes soupirs, sourde à mes gémissements, et aveugle aussi, aveugle devant les supplications que mes yeux vous adressent. Si vous saviez tout ce que j'ai souffert à Palerme, quand vous êtes partis pour venir ici: pas même un salut, pas même un signe, pendant que les voitures disparaissaient dans l'allée! Et vous voulez que je ne vous dise pas sourde? C'est "Cruelle" que j'aurais dû faire écrire."

Son agitation littéraire fut glacée par la réserve de la jeune fille: "Vous êtes encore fatigué du long voyage, vos nerfs sont dérangés. Calmez-vous: faites-moi plutôt entendre quelques beaux poèmes."

Tandis que le bersaglier lisait les vers langoureux d'une voix attristée et avec des pauses pleines d'accablement, Tancredi, devant la cheminée, sortait de sa poche un petit écrin de satin bleu pâle. "Voici la bague, mon oncle, la bague que je donne à Angelica; ou plutôt celle que toi, tu lui offres par ma main." Il fit jouer le ressort et un saphir très sombre apparut, taillé en octogone aplati, étroitement cerclé d'une multitude de petits brillants très purs. Un bijou un peu sombre, mais hautement accordé au goût sépulcral de l'époque et qui valait clairement les trois cents onces envoyées par Don Fabrizio. En réalité il avait coûté beaucoup moins: dans ces mois de pillage et de fuite à Naples on trouvait de très beaux bijoux d'occasion; de la différence de prix était sortie une broche, un souvenir pour la Schwarzwald. Concetta et Cavriaghi furent aussi appelés pour admirer la bague mais ils ne bougèrent pas parce que le jeune comte l'avait déjà vue et que Concetta remit ce plaisir à plus tard. Elle passa dans les mains à la ronde, fut admirée, louée; et l'on exalta le bon goût prévisible de Tancredi. Don Fabrizio demanda: "Mais comment va-t-on faire pour la taille? Il faudra envoyer la bague à Girgenti pour l'ajuster." Les yeux de Tancredi brillèrent de malice: "Ce ne sera pas nécessaire, mon oncle, c'est la bonne taille; je l'avais prise avant." Et Don Fabrizio se tut: il avait reconnu un maître.

Après avoir fait le tour de la cheminée, l'écrin était revenu dans les mains de Tancredi, et l'on entendit alors, de derrière la porte, à voix basse: "Puis-je entrer?" C'était Angelica. Dans la hâte et l'émotion elle n'avait rien trouvé de mieux pour s'abriter de la pluie battante que de mettre un "scappolare", une de ces immenses capes de paysan en drap très grossier: enveloppé dans les rigides plis bleu foncé, son corps apparaissait très élancé; sous le capuchon mouillé ses yeux verts étaient anxieux et perdus; ils parlaient de volupté.

A cette vue, devant le contraste entre la beauté de la personne et l'aspect rustique du vêtement, Tancredi reçut comme un coup de cravache: il se leva, courut vers elle sans parler et l'embrassa sur la bouche. L'écrin qu'il tenait dans la main droite chatouillait la nuque penchée en arrière. Puis il pressa le ressort, prit la bague et la lui passa à l'annulaire; l'écrin tomba par terre. "Tiens, ma belle, c'est pour toi, de ton Tancredi." L'ironie se réveilla: "Et remercie aussi mon oncle pour ça." Puis il l'embrassa à nouveau: l'impatience sensuelle les faisait trembler tous les deux: le salon, ceux qui étaient là leur semblaient très lointains; et il eut, quant à lui, vraiment l'impression que dans ces baisers il reprenait possession de la Sicile, de la terre belle et perfide sur laquelle les Falconeri avaient des siècles durant agi en maître et qui, faite de délices charnelles et de moissons dorées, après une révolte vaine, se rendait maintenant de nouveau à lui comme aux siens depuis toujours."